30 novembre 2010

Rio, deux jours après la "libération"

"La reconquête", "Le trafic blessé à mort", "La liberté a ouvert ses ailes au-dessus de Rio"...Au surlendemain de l'intervention des forces armées, qui a mobilisé plus de 2.700 hommes, dont 800 militaires fédéraux, la presse carioca verse dans l'emphase, voire dans l'euphorie, pour décrire le franc (mais prévisible) succès remporté par les "gens du Bien" face aux "bandits et aux trafiquants". Le complexo do Alemão, l'une des favelas les plus dangereuses de la ville, est donc "tombé", en moins de temps qu'il faut pour le dire ou quasi -l'intervention survitaminée aura duré tout au plus une heure, dans le clair matin du dimanche 28 novembre 2010. La démonstration de force a eu raison des velléités belliqueuses des quelques 600 "bandits" qui s'étaient réfugiés dans "l'Allemand" depuis vendredi soir et le premier assaut (déjà victorieux) lancé sur Vila Cruzeiro par la Police Militaire de Rio.
La colombe et la Police Militaire : quel beau symbole...
C'est évidemment une magnifique nouvelle pour la ville, pour l'Etat de Rio, pour tous ceux qui rêvent d'une Cidade Maravilhosa pacifiée et libérée de la gangrène mafieuse qui prolifère depuis 30 ans, mais c'est avant tout une nouvelle formidable pour les habitants de ces quartiers déshérités, laissés à l'abandon par les autorités pendant plus de 30 ans, et qui se réveilleront ces prochains jours (semaines, mois, années ?) sans crainte de croiser des trafiquants surarmés dans les ruelles de leurs "communautés" et sans devoir rendre des comptes à ces  représentants des "forces du Mal"...
Mais ce dont on peut se réjouir par-dessus tout, c'est la conduite exemplaire (une fois n'est pas coutume) des policiers et militaires dans la conquête de ce bastion du trafic de drogue, considéré comme inexpugnable voici encore quelques semaines : pas de règlements de compte à outrance, peu de victimes recensées (3, officiellement, toutes du côté des "bandidos", et un modus operandi réussi entre les différentes unités mobilisées (Police Militaire, Police Civile, armée fédérale). C'est d'ailleurs ce que souligne le professeur d'histoire contemporaine Francisco Texeira dans l'excellente colonne de Merval Pereira, du Globo du jour : "Nous avons vu qu'il était possible d'être dur, de maintenir l'ordre, sans violer les droits civils, sans générer de grande violence, sans un bain de sang qui aurait décrédibilisé l'action policière. Nous avons vu de l'efficacité, de la compétence".
Si l'opération s'est déroulée si "pacifiquement", c'est bien sûr parce que les "bandits", apeurés par la démonstration de force, ont renoncé au combat frontal et ont rapidement fui (vers Rocinha ?) ; mais c'est également -et peut-être avant tout- grâce aux propres habitants de "l'Allemand" et de "VC" que les opérations se sont déroulées aussi proprement : pour la première fois, ceux-ci ont étroitement collaborés avec les forces armées, traduisant à la fois une confiance retrouvée dans les représentants de l'ordre et une exaspération sans nom des (anciens) maîtres des lieux, bandits et trafiquants en tout genre. Confiance retrouvée, et il faut ici créditer la politique de sécurité initiée par le gouverneur Sergio Cabral, car les habitants imaginent maintenant que l'Etat va installer des UPP (Unité de Police Pacificatrice, dont je vous ai déjà parlé ici) au sein de ces communautés "libérées", et que le règne du trafic et du pouvoir parallèle est arrivé à son terme, une fois pour toutes. C'est ce que relate le professeur et psychanalyste carioca Joel Birman dans la même colonne de Merval Pereira : "La police a été perçue (dans cette opération) comme un sujet de l'état de droit. Les habitants (des favelas) ont senti qu'ils étaient protégés par une autorité et ils sont ainsi sortis de la peur paralysante qui jusqu'alors les bloquaient...". Bonne nouvelle pour les habitants, ces fameuses UPPs à Alemão et Vila Cruzeiro devraient être inaugurées en juillet prochain -c'est en tout cas ce qu'a annoncé le gouverneur Cabral hier. Dans l'intervalle (il faut trouver et former près de...7.000 hommes pour garnir les rangs des unités "sédentaires" de police dans cet énorme complexe de favelas qui regroupe plus de 400.000 habitants), l'armée fédérale devrait rester sur place, afin de garantir la sécurité des lieux.
Les drapeaux du Brésil et de l'Etat de Rio flottants au vent...
On peut bien sûr regretter la surmédiatisation à outrance de cette "guerre à Rio", en particulier la mise en scène obscène des télévisions brésiliennes (la Globo au premier chef), dans uns sorte de Tropa de Elite revisitée et réaliste, avec force musiques guerrières, on peut regretter le vocabulaire déplacé et l'opposition trop basique entre les forces du Bien (Etat, Police, Armée...) et celles du Mal (trafiquants, bandits...) -en oubliant en particulier que de trop nombreuses favelas sont encore contrôlées par les Milices, ces policiers et ex-policiers corrompus qui imposent une loi encore plus sévère que les propres trafiquants sur les morros qu'ils dominent-, on peut regretter la décision somme toute démesurée, voire déplacée, du maire de Rio Eduardo Paes de faire du 28 novembre la date de "refondation de la ville", on peut regretter la mise en scène typiquement guerrière du "plantage" du drapeau brésilien en haut du complexe do Alemão "libéré" (photo ci-dessus), comme si l'on conquérait un territoire étranger, mais toutes ces réserves il est vrai s'effacent face au résultat, qui est l'établissement de l'état de droit dans une région historiquement délaissée (de façon délibérée ?) par les gouvernements successifs jusqu'à aujourd'hui.
Mais la partie est loin d'être gagnée néanmoins. Des centaines de quartiers de la mégalopole subissent encore le joug, qui des trafiquants, qui des milices, et les communautés "libérées" sont bien moins nombreuses que celles encore "occupées". L'une d'entre elles promet un combat homérique, à la fois symbole historique de la domination du pouvoir parallèle en pleine Zona Sul (les quartiers riches de la ville), tête de pont du trafic de drogue dans la ville, siège de la principale faction criminelle de Rio (l'ADA) et plus grande favela d'Amérique Latine, avec ses quelques 200.000 habitants (estimés) : la Rocinha. Le gouverneur Cabral, tout à l'euphorie de sa réélection voici deux mois, y a promis une UPP pour le début 2011. Les plans d'installation ont pu être chamboulés par les évènements récents, mais il faudra bien y aller. Cela promet d'être le moment décisif pour l'Etat et la ville de Rio dans la stratégie de reconquête des zones de non-droit. En espérant que cette nouvelle "guerre" soit aussi bien menée que celle qui vient de s'achever (?) à l'Alemão, et que tous les habitants de Rio (et pas seulement ceux des quartiers aisés) puissent à terme dormir sans (trop) craindre le lendemain.

9 commentaires:

Unknown a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Unknown a dit…

Anto, t'as quand meme vu tous les commentaires sur la police qui aurait allegrement dépouillé plusieurs maisons de citoyens normaux! donc la confiance n'est pas peut-etre pas restaurée encore!!
la bise!
Raph

Unknown a dit…

J'ai un peu lu ça oui mon bichon, mais rien d'officiel, même si je me méfie de l'info "officielle" vs "officieuse"...Evidemment que la Police n'est pas devenue la totale force du Bien du jour au lendemain ! :) J'ai vu que j'avais eu un visiteur from Tegucigalpa, je me suis bien douté que c'était toi gros veinard !! :))

Unknown a dit…

he he !
par contre le montage de la police avec la colombe blanche, c'est limite quand meme ! ils ont un peu craqué sur ce coup la O GLOBO ! :-)

Anonyme a dit…

La conclusion (Palavras Finais) de L.E Soares merite le detour : La police bresilienne dans le role d'incubateur de ?

A decouvrir sur le lien ci dessous.


http://luizeduardosoares.blogspot.com/2010/11/crise-no-rio-e-o-pastiche-midiatico.html

L

Jean a dit…

Wow. 2700 militaires et 600 insugės... Merci pour l'explication du contexte, parce que vu de loin, ça fait très guerre civile !
Imagine le dėlire si on envoyait les commandos marines attaquer les dealers des citės du 93 !!!

r1malin a dit…

Ils sont passés où les 600 "bandits"!
Quelques uns arrêtés, voire tués, mais où sont les autres?
C´est bien joli d´avoir mis les gros moyens pour récupérer le territoire do Alemao, mais je trouve qu´ils auraient quand même pu la jouer plus malin en surveillant les égouts...

Unknown a dit…

Je suis d'accord Erwan. Les autres sont en goguette à droite et à gauche. Ca va chier bientôt à Rocinha...

Anonyme a dit…

Merci d'avoir un blog interessant

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