26 mai 2011

Pauvreté et inégalités sociales au Brésil : des progrès, mais le chemin est encore long...

"Brazil takes off" (The Economist, décembre 2009), "Brésil : le nouvel Eldorado" (Le Point, mai 2010), "Brésil, un géant s'impose" (Le Monde 2, novembre 2010)...A écouter ou lire les médias, on a l'impression que le Brésil, tout à sa croissance débridée (encore 7,5% en 2010), est enfin rentré dans la cour des grands, dans ce Primeiro Mundo (le Premier Monde, c'est ainsi que les brésiliens définissent les traditionnelles économies occidentales développées) regardé depuis toujours par les brésiliens eux-mêmes avec déférence et envie... 
Cependant, deux études parues de manière quasi concomitante, au début de ce mois de mai, viennent altérer ce tableau idyllique d'une nation, qui, si elle a accompli depuis une dizaine d'années des progrès indéniables en matière de développement économique et de création de richesses, n'en reste pas moins un pays où les inégalités sociales sont criantes et où l'extrême pauvreté est loin d'être éradiquée. 

Le nouvel Eldorado, vraiment ? 

# Un niveau d'inégalités sociales encore insupportable :

L'institut d'études de la Fundação Getulio Vargas (FGV) a publié voici quelques semaines un rapport intitulé "Inégalités et revenus durant la décennie 2000-2010", qui établit que le fameux indice de Gini (coefficient qui mesure le degré d'inégalité dans la répartition des revenus d'un pays) du Brésil n'a fait que chuter (plus celui-ci tend vers 0, plus le pays est égalitaire) sur 10 ans, passant de 0,61 à désormais 0,53. Le chiffre les plus parlant est celui-ci : le revenu moyen hors inflation de la tranche des 20% des brésiliens des plus pauvres a augmenté de 50%, quand celui des 20% les plus riches n'a augmenté que de 9%. C'est évidemment une formidable avancée, qu'il ne faut pas minimiser. 
Le bémol, c'est que malgré cette forte réduction des disparités salariales, le Brésil reste l'un des pays les plus inégalitaires au monde (85ème sur les 100 listés par l'étude), et qu'il faudra du temps, beaucoup de temps (si cette tendance de la baisse des inégalités se confirme) pour rejoindre les standards du "Premier Monde" (l'indice de Gini moyen de l'Union Européenne est de...0,29). De surcroît, l'inégalité est encore moins supportable dans un pays qui n'a pas atteint, loin s'en faut, le niveau de revenu moyen que l'on connait en Europe : ainsi, le PIB moyen par habitant au Brésil s'établit à 10.500 $ pour 2010, ce qui le placerait...en dernière position de l'Union Européenne, derrière la Bulgarie (12.600 $) et la Roumanie (11.500 $), et loin de la moyenne de notre Europe à 27 (à 33.700 $).  
Que faut-il faire pour réduire encore le différentiel de revenus ? La croissance économique et le partage des fruits de celle-ci doivent bien entendu se poursuivre, mais cela ne suffira pas : il faut que l'Etat fédéral se charge de réformer en profondeur la fiscalité des revenus et du patrimoine, en particulier en décidant enfin de relever le seuil scandaleusement bas de l'impôt direct sur le revenu (le palier supérieur se situe à un tout petit 27%...). Pour être accepté, cette indispensable réforme doit s'accompagner d'une politique impitoyable de chasse au gaspillage de l'argent public...et à la corruption, encore endémique au Brésil, comme le démontrent les nombreux scandales qui continuent d'émailler la scène politico-économique du pays. 


# Une extrême pauvreté encore beaucoup trop présente :  

C'est LA promesse majeure de campagne de Dilma Rousseff, la présidente fraîchement élue : en finir avec l'extrême pauvreté au Brésil, composée des personnes vivant avec moins de 1 € par jour (environ 70 R$ par mois), à telle enseigne que le slogan qu'utilise le gouvernement dans ses nombreuses campagnes de communication est devenu "Le Brésil : un pays riche et sans misère". S'appuyant sur les données issues de l'Institut Brésilien de la Géographie et des Statistiques, l'IBGE (l'équivalent de notre INSEE), le Ministère du Développement Social a divulgué début mai le nombre de brésiliens considérés comme "miséreux", et le chiffre est effrayant : plus de 16 millions des concitoyens de Dilma vivent avec moins de 70 R$ par mois, soit l'équivalent de la population des Pays-Bas ! Cette extrême pauvreté, trop souvent oubliée par les médias internationaux, est majoritairement présente dans le Nord-Est du pays (60% des miséreux y résident), et touchent bien plus les noirs et métis (62% des très pauvres) que les blancs ("seulement" 26%). 

Gameleira, dans le Pernambuco :
l'un des Etats les plus pauvres du Brésil

Il est une conséquence dramatique de l'imagerie "eldoradienne" que l'on donne aujourd'hui du Brésil : les dons aux ONG locales ont chuté dans des proportions considérables, de plus de moitié en 5 ans pour certaines d'entre elles, remettant en cause la survie de nombreux programmes dans les quartiers déshérités des grandes villes ou dans les régions pauvres du pays.
Le gouvernement promet néanmoins d'éradiquer ce fléau endémique d'ici à la fin du mandat de Dilma, en 2014, en fournissant, à travers le programme -encore en gestation- "Le Brésil sans misère", un complément de revenu à ces familles déshéritées, et en leur donnant un meilleur accès aux "services sociaux basiques", tels les soins de première nécessité. Souhaitons que ce programme parvienne à ses fins ! Dans l'intervalle, n'oubliez pas la masse considérable des brésiliens qui passent à côté du miracle économique que l'on fait miroiter sans cesse à nos âmes crédules, et soyez partageurs, par exemple avec l'ONG Terr'Ativa, que j'ai visitée le mois dernier dans la Zona Norte de Rio, et qui effectue un travail difficile et remarquable loin des projecteurs. 

25 mai 2011

Week-ends autour de Rio (3/3) : La vallée des fazendas de café

Après vous avoir emmené du côté d'Arraial do Cabo, puis d'Ilha Grande, je vous propose aujourd'hui de quitter le littoral fluminense et que nous nous aventurions à l'intérieur des terres de l'Etat de Rio, à quelques 150 kms au nord de Rio de Janeiro, non loin de la frontière avec l'Etat du Minas Gerais : c'est ici, dans ces vallées verdoyantes, qu'ont fleuri, grandi, prospéré, puis décliné, tout au long du XIXème siècle, les fameuses fazendas de café. C'est dans cet ex-triangle d'or, constitué des villes de Valença et de Barra do Pirai, de Vassouras, l'officieuse "capitale" de la vallée du café, ainsi que du pittoresque village de Conservatoria, que fut produite pendant des décennies la majeure partie du café du Brésil post-colonial, au sein de terres arables d'une grande richesse, à la météo parfaite et à la main d'oeuvre (les esclaves) corvéable à merci. Les propriétaires de ces terres ont alors rivalisé de zèle pour construire des demeures majestueuses, que le terme fazendas (littéralement ferme) retranscrit bien mal. Ce sont des dizaines de splendides propriétés, représentant un patrimoine culturel et historique considérable, que l'on peut désormais visiter tout au long de cette route quasi légendaire du café.

La région des fazendas de café (en rouge) et les principaux
points d'intérêt (en vert) : cliquez sur la carte ! 

Pour notre part, nous sommes partis à la découverte de deux d'entre elles, à partir de notre camp de base établi à Valença (au sein du charmant hôtel Palmeira Imperial) :

# La somptueuse (et pourtant assez méconnue et peu visitée) Fazenda Paraiso, qui se situe à une dizaine de kilomètres après le village de Rio das Flores, au nord-est de Valença. Elle fut construite entre 1845 et 1853, et appartenait à l'un des "barons" de la vallée du café, le vicomte Guimarães, propriétaire de 15 fazendas à la fin de sa vie. La visite de l'entrepôt de production et ses machines à café centenaires vaut particulièrement le détour - mais la demeure en elle-même est une splendeur, de style néoclassique sur deux niveaux, pour une surface totale de...2.200 m², de quoi y loger du monde !

La très belle entrée et les initiales "FP" sur le portail
La demeure, 1/2
La demeure 2/2
Le jardin et ses palmiers géants

# La non mois belle (quels jardins !) et pluri-disciplinaire (un site historique et culturel construit par le vicomte de Pimentel en 1860, une jolie "maison de musique" pour accueillir divers groupes de musique traditionnelle lors du festival hivernal, une activité de production artisanale de confitures, sauces et desserts en tout genres...) Fazenda Vista Alegre, que l'on rencontre sur la superbe route qui mène de Valença à Conservatoria. La maison principale est encore habitée aujourd'hui, ce qui lui donne un aspect plus "accessible", j'ai failli dire "commun", les photos qui suivent donnent la mesure de l'erreur linguistique que j'aurais commise ! :)

La maison...encore habitée
Superbe jardin tropical 
La fontaine, d'époque

De nombreuses autres fazendas sont à découvrir dans la région, et certaines d'entre elles vous proposent même de vous loger...à des tarifs malheureusement plutôt très salés ! Mais l'immersion dans ces lieux bucoliques et reposants, loin du bruit et de la fureur de Rio, en vaut la chandelle. Selon l'avis des initiés, les meilleures sont la Fazenda Arvoredo, à Barra do Pirai, la Fazenda União, à Rio das Flores, et la Fazenda Florença, à Conservatoria.

Un mot pour conclure sur le déclin du cycle du café au Brésil, au virage du XXème siècle : la surproduction et l'appauvrissement des terres dans un laps de temps très court y furent pour beaucoup, mais la raison essentielle tient à...la fin de l'esclavage, aboli en 1889 (très tardivement !) : privés de cette main d'oeuvre gratuite et soumise, les fazendeiros (qui luttèrent d'ailleurs longtemps contre l'abolition) se retrouvèrent dans l'impossibilité de maintenir leur activité, très consommatrice en bras. Visiter cette région, c'est aussi se remémorer ces heures sombres de l'histoire humaine, où quelques-uns, riches et blancs, pouvaient asservir une multitude, contrainte et humiliée, parce que noire.

11 mai 2011

Economie brésilienne : le spectre du retour de l'inflation

Si le Brésil est tant à la mode, il le doit beaucoup au talent de super VRP de son charismatique ex-président Lula da Silva, mais aussi (et plus encore) à l'insolente santé de son économie : le PIB en 2010 a ainsi crû de plus de 7,5%, faisant désormais du Brésil la 7ème économie mondiale, avec plus de 2000 Mds de $ de revenus -la France, ses 2500 Mds de $ et sa croissance faiblarde étant désormais à portée de fusil du nouvel ogre latino-américain (cf tableau ci-dessous). Tous les feux des investisseurs internationaux sont ainsi plus que jamais braqués sur ce géant plus qu'émergent, pour tenter de profiter un peu de ce gâteau royal à 200 millions de consommateurs !

Le Brésil bientôt 5ème puissance mondiale ? 

Cependant, derrière cette excitante façade, le tableau en ce premier semestre 2011 peine à cacher quelques inquiétantes zones d'ombre, dont l'éventuelle persistance pourrait altérer la vision "eldoradesque" que l'on se fait communément aujourd'hui de l'économie brésilienne :

1. La croissance brésilienne est avant tout portée par la consommation, quasi frénétique, de ses habitants, portée par une confiance dans l'avenir au plus haut et l'accès d'une large frange de la population aux délices de la "dépense capitaliste". Au final, comme le souligne le site MoneyWeek ici, "le meilleur ami du Brésil, c'est son marché intérieur"...et pas ses exportations (qui ne représentent "que" 15% de son PIB), et encore moins son taux d'investissement, qui stagne à 19% du PIB, loin des autres BRIC qui parviennent à mieux équilibrer les postes de croissance (Chine, taux d'investissement de 40% du PIB, Inde, 30%). Conséquence, les infrastructures (routières, aéroportuaires, portuaires) du pays restent arriérées (il suffit de prendre la triste Via Dutra, l'autoroute qui relie São Paulo à Rio, soit les deux plus grandes villes du pays, qui supporte à peine la comparaison avec une grande départementale française...) et sont un handicap majeur à un développement durable du Brésil...

L' "autoroute" Rio-São Paulo en février 2010...

2. La pénurie de main d'oeuvre qualifiée, conséquence d'un système éducatif de piètre niveau, est là aussi un frein à la poursuite d'une expansion pérenne, comme le souligne l'économiste Luiz Carlos Prado : "La grande fragilité du Brésil est la qualité de sa main d'oeuvre et de son éducation, et c'est un problème que l'on ne résoudra pas à court terme". Curieusement (et pour le malheur des nombreux chercheurs d'emplois étrangers au Brésil, je sais de quoi je parle ;), le Brésil ne compense pas cette faiblesse structurelle par une politique d'ouverture aux compétences internationales, puisque celui-ci pose des freins quasi insurmontables aux candidats étrangers à l'emploi et fait subir un enfer bureaucratique (l'obtention d'un visa de travail est un combat homérique !) à ceux qui auraient quand même réussi à trouver un employeur prêt à les accueillir...

3. Peut-être le risque le plus prégnant et le plus dangereux à court terme, le retour d'une phobie toute latino-américaine, l'inflation ne cesse de croître jusqu'à dépasser en ce mois de mai le plafond fixé par les autorités brésiliennes (Banque Centrale en tête), qui projettent désormais un taux de hausse des prix à 6,7%, au-delà des 6,5% censés être "autorisés". La forte croissance stimulée par le gouvernement et son fameux "Plan d'Accéleration de la Croissance -PAC", la hausse du crédit liée à la consommation interne, l'explosion des prix des commodities depuis août 2010, les tensions sur les salaires dans un pays au taux de chômage -6,5%- historiquement bas sont autant de raisons qui peuvent expliquer le retour d'une forte inflation. Et rien n'y semble faire pour stopper celle qui a durablement traumatisé tout un peuple durant les années 80 "pré-real" (l'ère du cruzeiro à plusieurs milliers de %), ni les coupes budgétaires dans les dépenses publiques du début d'année, ni  la réduction annoncée de la croissance pour 2011 (prévisionnée tout de même entre 4,5 et 5 %), ni la hausse du taux directeur de la BC brésilienne (porté de 10,75 à 12% en trois mois...et qui ne fait que renchérir le prix de l'argent et de la monnaie brésilienne, le real, déjà surévalué), ni les toutes récentes pressions gouvernementales sur Petrobras pour baisser le prix de l'essence à la pompe, il est vrai incroyablement élevé pour un pays producteur et -presque- autosuffisant (près de 3 R$, soit 1,30 € !).
Ainsi, le "combat serré" que la présidente Dilma a promis de mener contre l'inflation va s'avérer le grand défi de sa première année de mandature, il en va de la bonne santé générale d'un pays où le coût de la vie est -comme ailleurs- un sujet de discussion permanent, le tout attisé par une étonnante disparité entre le revenu disponible moyens des ménages (1.200 R$ environ par mois, soit un peu plus de 500 €) et l'accès aux principaux biens et services, qui restent hors de portée de la majorité de la population.

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