08 mars 2010

"L'Europe en déclin", une tribune éloquente dans O Globo...

Paulo Nogueira Batista Jr (photo de droite) est un économiste brésilien actuellement directeur exécutif  pour l'Amérique Latine au FMI. Il vient de publier la tribune suivante dans le grand quotidien brésilien O Globo.

"Il y a peu, une information a choqué les européens : Barack Obama ne se rendra pas au meeting annuel Etats Unis-Europe, programmé pour le mois de mai, en Espagne. Il semble que le président des Etats-Unis n'est pas disposé à traverser l'Atlantique pour participer à l'une des ces réunions sans beaucoup de substance, comme celle qui s'est déroulée à Prague l'année passée. 
La décision d'Obama est cependant symptomatique de quelque chose de plus grande ampleur : le déclin persistant de l'influence européenne. Le brésilien ne perçoit pas toujours ce phénomène et place parfois des espoirs probablement démesurés dans le rôle que l'Europe pourrait tenir en tant que contrepoids des Etats-Unis dans un monde de plus en plus mulipolaire. Les européens, en effet, ont un bon "marketing" et font de beaux discours progressistes. 
J'ai moi-même été bercé par cette illusion quand je vivais au Brésil. Voilà maintenant presque trois ans que je vis à l'étranger, en contacts quasi quotidiens avec les représentants européens du FMI. J'ai aussi participé à de nombreuses rencontres du G20, dans lesquels la représentation européenne est importante. Depuis lors, mon point de vue sur l'Europe (ou tout au moins sur son rôle à l'international) a totalement changé. 
A quelques exceptions près, qui sont liées en général à la qualité individuelle de quelques représentants européens, l'Europe agit de manière médiocre et conservatrice. La majorité des mauvaises idées, dans le FMI ou au sein du G20, vient des européens. Les britanniques se distinguent particulièrement en la matière. Je peux dire sans peur de me tromper : l'Europe est aujourd'hui la principale force rétrograde dans les institutions financières européennes. 
Les signes de déclin relatif de l'Europe viennent de toutes parts. Par exemple : bien que les Etats-Unis (en particulier le système financier américain) aient été l'épicentre de la crise internationale de 2007-2009, la récession a été plus profonde en Europe en 2009. Selon les premiers chiffres, le PIB américain a chuté de 2,5%. Celui de la zone Euro s'est contracté de 3,9%. L'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni ont enregistré des chutes de presque 5%. Seule la France a eu un résultat un peu meilleur, avec une baisse estimée à 2,3%. A la périphérie européenne, le tableau est encore pire. De nombreux pays sont ou sont sur le point d'être en situation de faillite financière. Plusieurs d'entre eux ont dû recourir au FMI dans le passé récent. Ca a été le cas de l'Ukraine, de la Serbie ou de l'Islande, par exemple. Mais cela a également concerné des membres de l'Union Européenne : la Hongrie, la Lettonie ou la Roumanie.  
Dans les dernières semaines (humiliation suprême), les spéculations sont allées bon train sur le fait que, pour la première fois, un pays membre de la zone Euro devrait avoir recours au FMI : la Grèce. Les autorités européennes, de peur de perdre leur prestige, font tout pour éviter cet affront. 
Le pire est que la crise grecque a déjà contaminé les autres pays du sud de l'Europe, qui font également partie de la zone Euro, notamment le Portugal et l'Espagne. Les marchés financiers font déjà référence avec dégoût aux 'PIGS' (Portugal, Italy, Greece and Spain)...
La réalité est que l'Europe est un continent qui a vieilli, qui vit dans la gloire du passé et qui cherche à s'accrocher à des privilèges et des positions qui ne reflètent déjà plus son poids actuel dans le monde. C'est ce qui se passe au sein du FMI, où la sur-représentation de l'Europe est simplement scandaleuse. 
Tout ceci me fait penser à Charles de Gaulle, qui, en 1969, peu de temps avant de mourir, a commenté avec tristesse : 'J'ai tenté de fortifier la France face à la fin d'un monde. Ai-je échoué ? D'autres le sauront, plus tard. Sans aucun doute, la fin de l'Europe est devant nous' ".

Un jugement sans concession de la part de Nogueira Batista qui traduit aussi une forme de "décomplexion" des élites brésiliennes face au mirage européen. Sa position et son expérience font que, sans aucun doute, l'analyse de Batista correspond à une triste réalité, pour nous pauvres européens...même si notre DSK national devrait remonter les bretelles à cet insolent impétrant ! :)

8 commentaires:

Cyrille Bellier a dit…

Excellent article qui fait réfléchir...

Unknown a dit…

Merci mon Cyrille de ta fidélité ! :)

Fabien a dit…

Comme il y va, le Nogeira ! Tout est question de point de vue ! Quand il affirme "La majorité des mauvaises idées vient des Européens", il ne dit pas lesquelles ! S'il s'agit de lutter contre les paradis fiscaux au G20, ou d'imposer des contraintes chiffrées pour l'environnement à Copenhague, effectivement, les Européens sont un peu seuls. Mais selon moi, ce ne sont pas des idées "rétrogrades" mais au contraire à la pointe.
Rappelons que le PIB de l'UE est encore le double de celui du Japon. Rappelons également que c'est en France, dans les 10 dernières années, qu'ont été construits le plus grand avion du monde (l'A380), le plus rapide train du monde (le TGV entre Paris et Strasbourg), le plus haut viaduc du monde (Viaduc de Millau), le plus grand paquebot du monde (Queen Mery II). Tout ça pour dire que les sempiternels discours sur le déclin, je m'en méfie comme de la peste... La France et l'Europe ont encore une industrie, leurs banques (exception faite de l'Angleterre) sont celles qui ont le mieux résisté à la crise, leur productivité est la plus élevée au monde, et surtout, nous sommes les mieux préparés à l'après-pétrole, à la fois dans les têtes et dans les infrastructures.
Les Brésiliens ont bien raison d'être décomplexés. Mais malgré tous ses diplômes et son carnet d'adresse garni, ce Nogueira va devoir argumenter avec plus de précisions pour me convaincre !!

davidikus a dit…

C'est un discours intéressant mais qui a plus de sens dans le contexte brésilien où les idées US sont très présentes, que dans le reste du monde. Le thème du déclin, c'est un thème utilisé de manière continue par les Etats-Unis depuis la fin du XIXe siècle, pour disqualifier tout opposant potentiel. Les Etats-Unis sont toujours présentés comme le pays qui monte et l'opposant (tour à tour, Angleterre, Russie, France...) comme le pays en déclin.

Alors, évidemment, il y a un déclin relatif de l'Europe. Il ne pourrait pas en être autrement : la domination des pays européens sur le monde au XIXe et XXe siècle fut trop grande. Plus on tombe de haut, plus dure est la chute.

Evidemment, il y a d'autres pays, d'autres régions qui se développent, et tant mieux ! Cela ne saurait cacher la réalité : le pays qui a constamment décliné depuis 1945, en terme de richesse comparée aux autres pays du monde, en terme de poids dans les échanges économiques mondiaux, ce sont les Etats-Unis.

Ce que prouve cet article, c'est que, au contraire, l'Europe s'impose en tant qu'acteur unique. L'article ne mentionne plus vraiment les pays qui la composent et soulignent bien que c'est l'Angleterre, le pays le plus opposé aux projets européens qui est l'acteur le plus rétrograde - notamment sur la question des marchés financiers !

On ne doit pas s'attendre à voir les pays européens dominer et se partager le monde de nouveau (et c'est tant mieux ! le néo-colonialisme est aussi néfaste que le colonialisme).

Dans un monde multipolaire, des entités larges comme le Brésil ou l'Union Européenne auront sans aucun doute leur mot à dire et leur rôle à jouer - à moins d'être divisés par d'autres acteurs.

Unknown a dit…

Merci Fabien et Davidikus pour vos commentaires qui font du sens. Bien sûr que la France et l'Europe ont encore des cartes majeures à jouer dans le monde multipolaire d'aujourd'hui et de demain, et il est bien entendu que notre bon vieux continent reste à la pointe d'un certain nombre de nobles combats. Mais on ne peut nier qu'il y a souvent loin de la coupe aux lèvres, et que nos beaux discours (quand ils sont univoques, ce qui est malheureusement plutôt rare) peinent à être suivis d'effets concrets (dérives financières, paradis fiscaux, environnement...), simplement parce que factuellement nous n'exerçons plus l'influence d'antan (et dans l'absolu ça parait plutôt logique et souhaitable). Ce qui m'intéresse surtout dans le discours de Nogueira, c'est qu'il met en exergue le pessimisme, la frilosité, le conservatisme, l'angoisse dans le futur qui me semblent être des caractéristiques fortes de nos mentalités (et en particulier dans notre bonne vieille France) - alors que nous avons tout les atouts pour être optimistes et conquérants. Je crois que ce trauma là nous perdra. Et puis alors que les élites latino-américaines étaient historiquement très "inféodées" et trop respectueuses des européens, on voit aujourd'hui celles-ci en "rébellion morale", et cette "décomplexion" évoquée dans mon post me semble très nouvelle. Enfin, on ne peut nier que nos institutions internationales (ONU, FMI, OMC...) surreprésentent l'Europe et qu'un équilibrage s'impose. Qu'est ce qui justifie aujourd'hui sur un plan géopolitique que 3 des 5 membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU soient européens ??

Fabien a dit…

Pas faux !

Antoine a dit…

Autre eclairage que ceux apportes par les bloggeurs
Je reagis par rapport a deux phrases => "Les européens, en effet, ont un bon "marketing" et font de beaux discours progressistes" + "(.) l'Europe agit de manière médiocre et conservatrice."

J'y vois une reflexion interessante par rapport a des pays qui s'appuient sur un fort passe, riche d'experiences et de valeurs, sans pour autant savoir tres bien ni quoi en faire ni ou l'amener.
J'y vois aussi un decalage entre apparence/forme, et conviction/fond. Comme ses vieux chateaux ou habitent des nobles ruines.
J'y vois la meme logique que dans l'eternelle discussion des anciens et des modernes.
Personne n'a raison, personne n'a tort, juste qu'il faut que le monde integre different points de vue, et que l'Europe cesse de croire que seuls les siens sont les bons.

Unknown a dit…

Excellent point, Antoine, merci beaucoup ! :)

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