11 mai 2011

Economie brésilienne : le spectre du retour de l'inflation

Si le Brésil est tant à la mode, il le doit beaucoup au talent de super VRP de son charismatique ex-président Lula da Silva, mais aussi (et plus encore) à l'insolente santé de son économie : le PIB en 2010 a ainsi crû de plus de 7,5%, faisant désormais du Brésil la 7ème économie mondiale, avec plus de 2000 Mds de $ de revenus -la France, ses 2500 Mds de $ et sa croissance faiblarde étant désormais à portée de fusil du nouvel ogre latino-américain (cf tableau ci-dessous). Tous les feux des investisseurs internationaux sont ainsi plus que jamais braqués sur ce géant plus qu'émergent, pour tenter de profiter un peu de ce gâteau royal à 200 millions de consommateurs !

Le Brésil bientôt 5ème puissance mondiale ? 

Cependant, derrière cette excitante façade, le tableau en ce premier semestre 2011 peine à cacher quelques inquiétantes zones d'ombre, dont l'éventuelle persistance pourrait altérer la vision "eldoradesque" que l'on se fait communément aujourd'hui de l'économie brésilienne :

1. La croissance brésilienne est avant tout portée par la consommation, quasi frénétique, de ses habitants, portée par une confiance dans l'avenir au plus haut et l'accès d'une large frange de la population aux délices de la "dépense capitaliste". Au final, comme le souligne le site MoneyWeek ici, "le meilleur ami du Brésil, c'est son marché intérieur"...et pas ses exportations (qui ne représentent "que" 15% de son PIB), et encore moins son taux d'investissement, qui stagne à 19% du PIB, loin des autres BRIC qui parviennent à mieux équilibrer les postes de croissance (Chine, taux d'investissement de 40% du PIB, Inde, 30%). Conséquence, les infrastructures (routières, aéroportuaires, portuaires) du pays restent arriérées (il suffit de prendre la triste Via Dutra, l'autoroute qui relie São Paulo à Rio, soit les deux plus grandes villes du pays, qui supporte à peine la comparaison avec une grande départementale française...) et sont un handicap majeur à un développement durable du Brésil...

L' "autoroute" Rio-São Paulo en février 2010...

2. La pénurie de main d'oeuvre qualifiée, conséquence d'un système éducatif de piètre niveau, est là aussi un frein à la poursuite d'une expansion pérenne, comme le souligne l'économiste Luiz Carlos Prado : "La grande fragilité du Brésil est la qualité de sa main d'oeuvre et de son éducation, et c'est un problème que l'on ne résoudra pas à court terme". Curieusement (et pour le malheur des nombreux chercheurs d'emplois étrangers au Brésil, je sais de quoi je parle ;), le Brésil ne compense pas cette faiblesse structurelle par une politique d'ouverture aux compétences internationales, puisque celui-ci pose des freins quasi insurmontables aux candidats étrangers à l'emploi et fait subir un enfer bureaucratique (l'obtention d'un visa de travail est un combat homérique !) à ceux qui auraient quand même réussi à trouver un employeur prêt à les accueillir...

3. Peut-être le risque le plus prégnant et le plus dangereux à court terme, le retour d'une phobie toute latino-américaine, l'inflation ne cesse de croître jusqu'à dépasser en ce mois de mai le plafond fixé par les autorités brésiliennes (Banque Centrale en tête), qui projettent désormais un taux de hausse des prix à 6,7%, au-delà des 6,5% censés être "autorisés". La forte croissance stimulée par le gouvernement et son fameux "Plan d'Accéleration de la Croissance -PAC", la hausse du crédit liée à la consommation interne, l'explosion des prix des commodities depuis août 2010, les tensions sur les salaires dans un pays au taux de chômage -6,5%- historiquement bas sont autant de raisons qui peuvent expliquer le retour d'une forte inflation. Et rien n'y semble faire pour stopper celle qui a durablement traumatisé tout un peuple durant les années 80 "pré-real" (l'ère du cruzeiro à plusieurs milliers de %), ni les coupes budgétaires dans les dépenses publiques du début d'année, ni  la réduction annoncée de la croissance pour 2011 (prévisionnée tout de même entre 4,5 et 5 %), ni la hausse du taux directeur de la BC brésilienne (porté de 10,75 à 12% en trois mois...et qui ne fait que renchérir le prix de l'argent et de la monnaie brésilienne, le real, déjà surévalué), ni les toutes récentes pressions gouvernementales sur Petrobras pour baisser le prix de l'essence à la pompe, il est vrai incroyablement élevé pour un pays producteur et -presque- autosuffisant (près de 3 R$, soit 1,30 € !).
Ainsi, le "combat serré" que la présidente Dilma a promis de mener contre l'inflation va s'avérer le grand défi de sa première année de mandature, il en va de la bonne santé générale d'un pays où le coût de la vie est -comme ailleurs- un sujet de discussion permanent, le tout attisé par une étonnante disparité entre le revenu disponible moyens des ménages (1.200 R$ environ par mois, soit un peu plus de 500 €) et l'accès aux principaux biens et services, qui restent hors de portée de la majorité de la population.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonne analyse, bravo Antony!

Eric Apesteguy

Anonyme a dit…

Intéressant. Je pense qu'il serait bon aussi de souligner pour qui cette inflation est-elle une menace...
Nouvellement arrivé ici je ne suis pas encore bien au courrant. Mais j'aurais quelques questions :
Les salaires ne sont-ils pas indexés sur l'inflation ? Auquel cas, le danger qu'elle représente ne concernerait-il pas que les "investisseurs" et non les salariés, qui en plus peuvent bénéficier de prêt à taux réels négatifs ou très bas?
Bonne continuation !

Unknown a dit…

@Eric : merci beaucoup pour le compliment ! N'hésite pas à donner plus souvent ton avis ! ;)
@Dagoodtown : L'inflation est avant tout une mauvaise nouvelle, me semble-t-il, pour la population brésilienne, les salariés du pays : leurs gains de pouvoir d'achat se voient érodés par cette forte poussée des prix - les salaires n'étant pas formellement indéxés à l'inflation. Pour les investisseurs, c'est plutôt une bonne nouvelle, puisque les taux d'intérêts ne cessent de croître ! Bravo pour Arroz e Feijão, et le fait de te lancer dans les posts en portugais (attention, dans ton menu, tu as mis "em potuguês" ;))

Jean a dit…

Je n'aurai jamais appris autant de trucs sur le Brésil que depuis ce blog. Merci Antony. Way to go !

Caroline a dit…

Bonjour
j 'ai assisté hier dans le cadre d'un festival local : le printemps des couleurs ( tous pas pareils tous égaux)à un film que je te conseille
WASTE LAND , documentaire sur la décharge de Jardim Gramacho RJ
le travail de Vik Muniz ....tu connais ? un artiste Brésilien contemporain super coté dans le domaine de l'art contemporain ....
Renversant de réalisme et d'humanité
Impossible de retenir les larmes

voir sur mon blog CAROLINE
até breve

Unknown a dit…

@Jean : merci cher ami ! Ton blog US est pas mal non plus ! ;)
@Caroline : oui j'ai entendu parler de ce documentaire (dans le magazine français Les Inrockuptibles !) et j'avais prévu d'essayer de le voir. Avec ton commentaire (et ton post sur ton blog), ça va devenir indispensable ! Muito obrigado !

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